LES SAGAIES.
Les sagaies sont des armes de jet légères, qui devaient compter parmi les armes essentielles pour la chasse au Solutréen.
► Les pointes en bois de cervidés, en ivoire ou en os.
"Seule la pointe en bois de cervidés, en ivoire ou en os s'est conservée" (Piel-Desruisseaux, 1986). Les archéologues ont trouvé différents modèles de pointe, et ces variations de forme suggèrent "la recherche d'une meilleure fixation sur la hampe" (ibid.) plutôt qu'une utilisation différente de ces pointes.
Au cours du Solutréen apparaissent en particulier de grandes sagaies ovales qui perdureront jusqu'au Magdalénien.
Les pointes des sagaies du Paléolithique supérieur sont le plus souvent en bois de renne, mais il en existe aussi en os et en ivoire. D'après Piel-Desruisseaux (1986), "une extrémité est pointue et l'autre (extrémité proximale ou bas) est diversement aménagée pour assurer la fixation sur une hampe de bois dont on ne connait pas d'exemple conservé. La longueur varie de 5 à plus de 40 cm." Le fût peut être décoré par des formes abstraites ou réalistes. Leroi-Gourhan signale qu'au Solutréen, le décor de grandes sagaies ovales est particulier car il se poursuit "jusque sur le biseau de la base, qui devait normalement être dissimulé par la hampe" (in Piel-Desruisseaux, 1986).
Pointes de sagaies solutréennes :
de gauche à droite : sagaie à base biseautée (Le Placard), sagaie à base biseautée (Brassempouy), deux doubles pointes en bois de renne (Laugerie-Basse), sagaie à base évidée en bois de renne (Laugerie-Basse).
Pointe de sagaie fixée par ligature (reconstitution).
► Les pointes en silex. Tous les auteurs s'entendent pour reconnaitre que
le Solutréen représente "l'apogée de la taille du silex" (Nougier, 1959),
"le sommet de l'art de la pierre taillée au Paléolithique" (Djindjian et al., 1999),
avec des pointes de silex "d'une perfection rarement égalée depuis" (Hours, 1982).
→ techniques de taille,
→ les pointes en silex solutréennes,
→ utilisation,
→ bilan des pointes de projectiles des sites solutréens charentais.
La matière la plus utilisée par les tailleurs solutréens est le silex, mais Bordes souligne aussi l'intérêt qu'ils portent au jaspe, "peut-être parce qu'il se retouche facilement par pression" (in Piel-Desruisseaux, 1986).
Ainsi, lors des fouilles de l'abri André Ragout, L. Balout est frappé par "l'étonnante variété de la matière première, surtout par opposition à l'uniformité du vieux Magdalénien. Outre de très nombreux quartz débités, ce sont silex et jaspe, teintes claires, rosées, grises, etc... La majorité des pièces est en silex gris clair, qui acquiert une patine blanchâtre terne" (1958).
=> Deux techniques générales de taille du silex étaient pratiquées au Paléolithique supérieur : la taille dans la masse et le débitage sur éclats.La première technique inventée par les hommes préhistoriques est la taille dans la masse qui consiste à "dégager un tranchant par enlèvements de morceaux de roche. [Cette taille se pratique] soit par percussion directe à l'aide d'un galet (le percuteur), soit par pression sur un percuteur immobile dit enclume. Chaque choc provoque un éclatement partiel du bloc et les ondes de percussion détachent un fragment qui a généralement la forme d'une écaille (l'éclat)" (Camps, 1990).
Dans le cas du
débitage sur éclats, "un éclat est volontairement extrait d'un rognon de roche dure" (
ibid.).
Il y a donc eu une évolution du concept d'éclat : dans un premier temps, l'éclat est considéré comme un déchet de taille, lui-même tranchant et susceptible d'être utilisé ; puis l'éclat lui-même est devenu l'objectif de la taille.
La retouche consiste en "l'affûtage ou la transformation des pièces issues du débitage (l'action et son résultat sur la pièce portent le même nom)" (ibid.). Le débitage laminaire peut également être obtenu par pression.
=> Les solutréens utilisent beaucoup la taille par pression, "une technique de retouche particulière qui se pratique avec une pointe mousse en bois de cervidé qui permet de détacher des enlèvements réguliers" qui permet le "façonnage délicat" des pointes et la "retouche de pièces bifaciales préparées à la percussion" (Geneste, in Clottes, La France préhistorique, 2010).
=> Le traitement thermique du silex. Certaines pointes de silex portent des traces de chauffage qui, pour Bordes (1969), ne sont pas accidentelles.
En effet, le traitement thermique modifie les qualités du silex : "il devient plus fragile aux chocs, les éclats filent plus loin, et il se taille très bien par pression". Geneste note aussi que la chauffe du silex modifie ses caractéristiques visuelles et le rend "plus coloré" (in Clottes, 2010).
Pour cela, il faut "chauffer l'objet à tailler à une température variable selon la nature du silex, mais qui est souvent de 200°c et parfois 300°c. Il faut que l'élévation de température et son abaissement soient graduels. Des variations trop brusques font éclater la roche" (Bordes, 1969). Il est possible de réaliser cette chauffe "sous un dépôt de cendres chaudes" (Geneste, in Clottes, 2010).
Les objets traités sont en général de faible volume, pour des questions de facilité. Aussi traitait-on essentiellement des ébauches ou des éclats.
Feuilles de lauriers et pointes foliacées solutréennes, reconstitutions : ArkéoFabrik
- Pointes en silex solutréennes.
Le progrès dans l'industrie lithique solutréenne consiste à tirer de la même quantité de silex la plus importante surface tranchante possible grâce à l'utilisation d'une "retouche couvrante à bords parallèles. [...] Cette technique se retrouve sur les outils habituels du Paléolithique supérieur (burins, perçoirs, grattoirs) mais aussi sur des pointes foliacées originales" appelées feuilles de laurier ou feuilles de saule selon leur forme générale (Joussaume et Pautreau, 1990).
Les pointes en silex montrent une évolution au cours du Solutréen : "elles sont à face plane durant la phase initiale, bifaciales ensuite (feuilles de laurier, feuilles de saule, pointes à cran)" (Camps, 1990).
=> Les pointes à face plane sont retrouvées dans les niveaux datés du Proto-Solutréen et du Solutréen inférieur.Il s'agit de "pièces foliacées, symétriques ou asymétriques, à extrémités pointues ou obtuses, à retouches plates couvrant tout ou partie de la face supérieurs, -surtout la base, la pointe et l'un des bords-" (Sonneville-Bordes et Perrot, 1954).
Des pointes à face plane ont été découvertes dans l'abri André Ragout : Balout en dénombre 14 (1958).
Bulletin de la Société Préhistorique Française, 1958, Volume 55, N° 10.
Abri André Ragout, fouilles de 1957, L. Balout.
=> A partir du Solutréen moyen, apparaissent les feuilles de laurier, des "pointes foliacées bifaces, totales ou presque totales, à sections symétriques" (ibid.).
"Les plus petites feuilles mesurent un peu plus de 30 mm et les plus grandes, celles de la cachette de Volgu (commune de Rigny, Saône-et-Loire) ont de 232 à 350 mm de long, 60 à 88 mm de large et seulement 6 à 9 mm d'épaisseur" (Piel-Desruisseaux, 1986).
Tous les gisements solutréens charentais ont révélé des feuilles de laurier, en particulier Le Placard, dont les deux niveaux (Solutréen moyen et supérieur) sont particulièrement riches en feuilles de laurier (Leroi-Gourhan, 1988).
FEUILLES DE LAURIER
Le Roc-de-Sers
in Tymula, L'art solutréen du Roc-de-Sers, 2002,
Editions de la Maison des Sciences de l'Homme.
=> Avec le Solutréen supérieur se développent les feuilles de saule et les pointes à cran.
Les feuilles de saule sont des "pièces foliacées allongées, à section en segment de cercle, retouchées sur la face supérieure, rarement sur la face inférieure" (Sonneville-Bordes et Perrot, 1954). Au même moment apparaissent les "pointes à cran 'typiques' à cran latéral" (ibid.).
Plusieurs gisements solutréens charentais contenaient des feuilles de saule, mais c'est là encore Le Placard qui s'est révélé le plus riche : pour Leroi-Gourhan, les feuilles de saule y sont très communes.
Des pointes à cran ont été découvertes dans la plupart des sites : par exemple, Balout (1958) note la présence dans l'abri André Ragout de 30 pointes à cran. Mais, comme pour l'ensemble de l'outillage lithique, c'est Le Placard qui a livré le plus grand nombre de pointes à cran : Leroi-Gourhan (1988) les signale "par milliers".
Piel-Desruisseaux (1986) propose deux hypothèses d'utilisation de ces pointes : "pointes de jet pour les plus petites et couteaux pour les plus grandes".
=> Ainsi, les pointes d'une dizaine de centimètres de long devaient être des pointes de flèches. En effet, leur taille et leur poids "correspondent bien à cet usage" (
ibid.)
Très peu de documents permettent de déterminer la méthode de fixation de la pointe de la flèche sur la hampe. En effet, bien que les pointes de projectiles témoignent de modes d'emmanchement très élaborés et très diversifiés, les hampes qui les portaient, sans doute en matière végétale, n'ont pas été conservées. "Mais les reconstitutions expérimentales et l'étude des traces d'utilisation, complétées par les comparaisons ethnographiques aboutissent à des interprétations sans doute assez fiables" (Bellier et Cattelain, 1998). Ainsi, Piel-Desruisseaux présente différents exemples possibles de fixation de pointes de flèches sur les hampes : par ligature ou par des goudrons, comme le goudron de bouleau.
Geneste et Plisson (1986) proposent une hypothèse d'emmanchement pour une pointe à cran de Combe Sauniène 1 (Dordogne) : "le rainurage au silex du fût et le collage de la pointe à la résine de pin ont demandé, expérimentalement, une dizaine de minutes de travail".
=> Quand aux pointes les plus longues, elles sont généralement considérées comme des lames de couteaux (Smith, 1966 ; Piel-Desruisseaux, 1986 ; Bordes, 1992).
Cheynier signale en 1956 une feuille de laurier "encastrée dans la portion montante d'une mandibule de renne" trouvée sur le site de Badegoule (Bersac, Dordogne). Il suppose qu'elle devait être utilisée "à la manière d'un couteau ou d'une scie".
Toutefois, J.-M. Geneste estime que "les grandes feuilles de laurier, pointes les plus massives ( de quelques dizaines de grammes à deux ou trois centaines), ont pu armer de lourds projectiles tels que des lances, dont l'efficacité dépendait avant tout de leur masse et non de leur vitesse" (in Clottes, La France préhistorique, 2010).
- Bilan des pointes de projectiles retrouvés sur les sites solutréens charentais.