LES ATTRIBUTS SYMBOLIQUES DU CHASSEUR ?
Certaines feuilles de laurier ou feuilles de saule sont de très grande taille, mais aussi extrêmement fines et délicates, et donc trop fragiles pour avoir été taillées dans le but d'être utilisées à la chasse. Le fait que des hommes aient fabriqué ces objets, ce qui a certainement nécessité du temps et une grande habileté, est la preuve qu'ils avaient pour eux une signification profonde allant au delà d'une simple pointe de flèche.
Certaines de ces feuilles, par exemple celles retrouvées à Volgu en Saône-et-Loire, dépassent les 30cm de long pour moins de 1 cm d'épaisseur. Ses bords sont tellement fins qu'ils sont translucides.
Feuille de laurier de Volgu, conservée au Musée National d'Archéologie de Saint-Germain-en-Laye
© RMN-GP.René-Gabriel Ojéda
© RMN-GP.René-Gabriel Ojéda
• La réalisation de telles pièces nécessite un savoir-faire exceptionnel : "les expérimentateurs d'aujourd'hui savent la difficulté de tailler des pièces aussi fragiles. [...] Pour une bonne réalisation, chaque enlèvement d'éclat doit nécessairement être précédé d'une préparation soigneuse. L'exercice devient de plus en plus périlleux lorsque l'épaisseur de la feuille passe en dessous du centimètre. Pour les pièces de Volgu qui ont plus de 5 cm de largeur, on est à la limite du procédé, leur épaisseur ne dépassant pas 7 mm" (Aubry, Almeida, Mangado Llach, Une énigme préhistorique, Archeologia, 2007, n°44).
• J. Pelegrin (Archeologia, 2007, n°44) parle de « surinvestissement » concernant ces grandes feuilles solutréennes : en effet, les tailleurs, dans un excès de performance technique, vont au-delà, voire même à l'encontre, d'une logique d'usage. En effet, l'intérêt fonctionnel de telles lames, dont la minceur et la longueur sont poussées à l'extrême, est inexistant : "leur bord est tellement mince qu'il n'est pas possible d'y pratiquer une nouvelle série d'enlèvements équivalents pour le réaffuter après qu'il ait été émoussé lors d'une première phase d'emploi" (Pelegrin, 2007).
De toute façon, ces longues lames d’une finesse incroyable ne pouvaient être employées sans se briser.D'ailleurs, ces grandes pièces ne présentent pas de signes d'usure permettant de penser qu'elles ont été réellement utilisées.
► Les archéologues, s'appuyant sur l'ethnographie, avancent deux hypothèses de leur utilité :
→ il pourrait s'agir de "chef-d’œuvre" destinés à mettre en valeur le savoir-faire et la dextérité du tailleur ;
→ ces pièces pourraient aussi avoir été des signes distinctifs permettant de mettre en valeur les meilleurs chasseurs du groupe ; il s'agirait alors, en quelque sorte, d'une reconnaissance sociale du rang de chasseur. Dans cette dernière hypothèse, les pointes de silex valorisent aussi l'animal à travers le chasseur.
Dans les deux cas, ces frêles feuilles de silex sont la trace d'une pensée abstraite. Or, "l'abstraction est l'une des principales caractéristiques de la pensée réfléchie. Elle s'exprime par un symbole portant [...] l'image de quelque chose qui ne peut être exprimé simplement" (Chaline, 2000).