LES TECHNIQUES DE CUISSON.
► Les preuves de la cuisson de la viande.Le fait de retrouver des os ou des fragments d'os brûlés, comme cela est le cas dans la plupart des sites solutréens charentais, ne constitue pas la preuve qu'ils ont été cuits intentionnellement avant la consommation de la viande.
Cependant, différents témoignages concordants existent et permettent de supposer que les hommes du Paléolithique cuisaient leur viande.
→ Par exemple, les archéologues supposent que les os longs étaient cassés pour permettre la récupération de la moelle. Sur les sites du Paléolithique supérieur, de nombreux os ont la diaphyse fendue transversalement. Or Coon a démontré en 1955 qu'il est très difficile d'extraire la moelle de cette façon, sauf si l'os est chauffé, la chaleur faisant fondre la moelle.
→ Un autre indice de la cuisson des aliments se retrouve dans l'étude de la dentition.
Des chercheurs de l'Université de Harvard ont comparé,
dans une étude publiée en août 2011, la taille des molaires de plusieurs grands singes et celles d'hominidés.
Leur étude a montré, chez les hominidés à partir de 1,9 millions d'années, avec
Homo erectus, une diminution progressive de la taille des molaires.
Les scientifiques pensent que la cuisson des aliments explique les changements dans la taille de la dentition. Lorsqu'ils ont commencé à faire cuire leurs aliments, les hominidés n'ont plus eu besoin de molaires aussi larges, ou de passer autant de temps à mastiquer pour ingérer assez de calories. Ainsi, avec la cuisson des aliments, les larges molaires de nos ancêtres ont disparu pour laisser la place de plus petites molaires.
Les indices de la consommation de la viande cuite paraissent suffisants à Perlès pour que l'on puisse poser le problème : "comment les hommes préhistoriques, compte-tenu des moyens techniques dont ils disposaient, pouvaient-ils cuire leurs aliments ?" (1977).
► Les techniques de cuisson possibles au Solutréen.Les vestiges disponibles actuellement ne constituent pas de véritables preuves de l'utilisation de telle ou telle méthode de cuisson.
Là encore, il faut se contenter d'hypothèses.
• Cuisson directe.Les méthodes de cuisson directes sont celles ne faisant intervenir aucun élément intermédiaire entre l'aliment et la source de chaleur ; c'est la source de chaleur elle-même qui varie (flammes, cendres ou pierres chauffées).
→ La cuisson sur braises est la plus simple à imaginer et c'est la première qui vienne à l'esprit lorsqu'on cherche les techniques utilisables au Paléolithique. Malheureusement, cette technique ne laisse aucune trace archéologique.
→ Le rôtissage peut expliquer la découverte d'os longs dont les deux extrémités sont brûlées mais pas la diaphyse.
Pour Perlès (1977), "on peut faire rôtir un aliment en utilisant des baguettes de bois vert ; de fait, le bois vert brûle moins vite que la viande, et ce d'autant plus qu'il est isolé de la chaleur sur toute la partie où est enfilée la viande ou tout autre aliment. Ces broches ou brochettes doivent être surélevées par rapport au foyer, soit à l'une de ses extrémités (broche plantée obliquement), soit aux deux bouts (broche posée plus ou moins horizontalement au-dessus du foyer). Les supports sur lesquels repose la broche pouvaient être constitués de bois, de pierre ou d'os".
→ Les grillades devaient être très faciles à réalisées en posant la viande sur des pierres chauffées dans les foyers.
Ainsi dans la zone dite Galerie Louis Duport (GLD) du Placard, au milieu d'un foyer en cuvette peu profond de 60 cm de diamètre, les archéologues ont deux grosses pierres fracturées en position légèrement oblique. "Elles furent posées sur un feu encore vif, soit pour l'éteindre [peu probable], soit pour faire chauffer des aliments" (Clotte et al., 1993).
Cependant, bien que les pierres chauffées soient nombreuses dans les gisements paléolithiques, et notamment dans les sites solutréens de Charente, leurs utilisations possibles sont très nombreuses.
→ La cuisson dans la cendre chaude est très simple à réaliser, aussi est-il probable qu'elle a été utilisée, bien que là encore, aucune trace archéologique ne subsiste.
→ La cuisson à l'étouffée dans des amoncellements de pierres chauffées était également possible.
• Cuisson indirecte.Dans les modes de cuisson indirectes, un élément de nature variée (peau, bois, terre ou eau) est interposé entre l'aliment à cuire et la source de chaleur.
→ La cuisson bouillie par pierres chauffées était réalisable en jetant des pierres brûlantes dans de l'eau contenue dans un récipient en bois ou en peau, voir dans des fosses creusées dans la terre et tapissées de pierres.
Dès 1907, Rutot pense que les nombreuses pierres chauffées retrouvées autours des foyers paléolithiques pouvaient avoir étaient utilisées pour faire bouillir des liquides.
Différentes expérimentations ont démontré l'efficacité de cette technique (par exemple O'Kelly en 1964, Leroi-Gourhan et Brezillon en 1972).
→ La cuisson bouillie sur le feu est également à envisager malgré l'absence de poteries ou de métaux. Il est en effet possible d'utiliser des récipients en écorce (certaines essences végétales transmettent la chaleur sans se carboniser immédiatement), mais aussi en peaux ou en membranes animales.
Hérodote rapporte que les Scytes faisaient bouillir la viande dans l'estomac de leurs proies. Ce même procédé semble avoir été répandu aussi en Amérique du Nord (in Perlès, 1977).
→ La cuisson par enrobage d'argile était elle aussi réalisable. "Aucun indice véritable de l'utilisation de cette méthode n'a été trouvée au Paléolithique, bien que l'on puisse parfois se poser la question en considérant l'abondance des fragments de terre cuite à l'intérieur de la masse de combustion d'un foyer" (Perlès, 1977).
→ Un certains nombre d'indices paraissent "témoigner de l'utilisation de
fours primitifs dès le Paléolithique supérieur, mais sans donner de preuves véritables" (
Ibid.).
→ Il convient d'ajouter ici que compte-tenu de leur niveau technique, les hommes paléolithiques pouvaient utiliser d'autres méthodes qui échappent sans doute à notre imagination ainsi qu'aux recherches archéologiques.
Perlès se tourne à titre d'exemple vers l'ethnologie, "non pas pour affirmer une similitude réelle avec des faits historiques, mais pour illustrer l'originalité de certaines méthodes de cuisson indirecte, parfaitement réalisables à l'époque préhistorique, et que les fouilles ne peuvent espérer mettre en évidence".
Le mode de cuisson qui suit est particulièrement répandu en Mongolie et s'applique à la cuisson des moutons et des marmottes :
"En premier lieu, la tête de l'animal est tranchée, puis tous les ossements, la chaires et les viscères sont extraits par l'ouverture ainsi pratiquée. Seuls restent dans la peau les os des extrémités inférieures des membres. Pendant cette opération, qui durent plusieurs heures car il ne faut en aucun cas que la peau de l'animal se déchire, des pierres sont mises à chauffer dans un foyer. Une fois que les pierres sont brûlantes et que la peau est vidée, celle-ci est remplie alternativement de viande (entre-temps coupée en petits morceaux) et de pierres chauffées. La peau est complètement bourrée et refermée hermétiquement en cousant l'ouverture faite par le sectionnement de la tête ; l'ensemble est alors laissé à cuire 1h30 à 2 heures, par la seule chaleur dégagée par les pierres à l'intérieur de la peau. Il suffit ensuite de fendre l'animal au niveau du ventre, et la viande est prête à la consommation" (Perlès, 1977).
► BILAN. Ainsi, le nombre de procédés envisageables est très grand, chaque type pouvant présenter de multiples variantes en fonction des aliments, des ressources locales et des traditions culturelles.
"Paradoxalement, en face de cette multiplicité des possibilités théoriques, l'archéologue est pratiquement privé de toute certitude en ce qui concerne la réalité des faits. Aucun mode de cuisson ne peut, à l'heure actuelle, être prouvé. Tout au plus certains sont-ils très vraisemblables, comme la cuisson simple grillée, d'autres probables comme la cuisson bouillie par pierres chauffées" (Ibid.)